Gouvernance du diamant : Et si l’Etat Fonctionnel était la solution au paradoxe africain du diamant ?

Une mesure préalable pour convertir le potentiel en réalité en faveur des pays producteurs et leurs nombreuses populations.

A la fin des années 1990, le monde entier s’indignait à la suite de la découverte des diamants de sang1 au cœur de l’instabilité politique et des guerres civiles dans certains pays africains tels que la Sierra Leone et l’Angola. Cette indignation se concrétisait au début des années 2000 par la mise en place du Processus de Kimberley dont l’objectif in fine était d’assainir l’économie mondiale du diamant et de rétablir la paix et la stabilité dans les pays en crise. L’espoir d’une situation meilleure envahissait alors la majorité des parties prenantes, surtout les ONG spécialisés dans la défense des droits humains et les populations dans les pays où les exactions étaient enregistrées. Aujourd’hui, un peu plus de 20 ans plus tard, l’espoir semble être retombé si l’on s’en tient aux nouvelles qui nous parviennent des réunions du Processus de Kimberley de ces dernières années.

Le paradoxe des pays riches de leurs sous-sols mais pauvres de leurs économies et de leurs populations demeure.

C’est connu de quiconque s’y intéresse que le continent africain concentre une réserve importante des ressources minières dans le monde et abrite une proportion significative, environ 66,4%, de la production mondiale du diamant avec 5 pays dans le top 10 mondial des producteurs de diamant. Malgré cette production, les pays tels que la République Démocratique du Congo, la Sierra Léone, la Centrafrique et le Zimbabwe entre autres, marqués par le trafic du diamant de conflit depuis les années 1990 continuent d’abriter des conflits liés à l’exploitation minière ou d’enregistrer des actes de violation des droits humains à ce propos. Par-dessus tout, dans la quasi-totalité des pays africains producteurs, les populations restent en marge des bénéfices de l’exploitation de ces ressources.  Pour la plupart, les communautés où le diamant est produit en Afrique sont des communautés difficilement accessibles, économiquement pauvres et souffrant d’une absence criarde de services de base : eau, électricité, infrastructures de santé et éducation, etc.   

En outre, que ce soit pour l’exploitation industrielle ou pour l’exploitation artisanale, malgré les efforts déployés pour promouvoir la transparence, de nombreux contrats miniers demeurent opaques sans informations claires sur les bénéfices qui devraient revenir aux communautés. La corruption persiste dans beaucoup de transactions minières et un pourcentage important des recettes qui devraient revenir aux trésors nationaux, s’envole.

Pour couronner le tout, non seulement les communautés bénéficient peu du diamant de leur sous-sol, mais encore trop souvent, elles voient leur droits humains, économiques, sociaux et environnementaux violés sans possibilité de recours réelle. Cette situation est amplement documentée par ceux qui représentent les intérêts des communautés au sein du Processus de Kimberley, la Coalition de la Société Civile du PK (CSC-PK). Un des cas emblématiques de ces violations est la pollution du fleuve Kasaï via son affluent, la rivière Tshikapa située en Angola, par la société minière Catoca Mining Company basée dans la province de Lunda Sul en Angola. Plus d’un million de congolais ont été affectés avec des répercussions sur les activités économiques telles que la pêche qui y a été interrompu. Malgré les démarches entreprises pour la réparation, rien de significatif n’a encore été entrepris en faveur des communautés affectées depuis juillet 2021.

Une efficacité limitée des nombreuses initiatives en faveur de la gouvernance dans le secteur extractif en général et du diamant en particulier.

En dehors du Processus de Kimberley spécifiquement focalisé sur la gouvernance du secteur du diamant et qui par ailleurs satisfait de moins en moins une frange considérable des parties prenantes, de nombreuses initiatives ont été mises en œuvre afin d’assainir l’économie du diamant et assurer que les richesses générées par cette activité profitent aux populations à travers des services de base de qualité entre autres.

Au niveau international, on note des initiatives telles que l’Initiative de Transparence sur les Industries Extractives (ITIE) et l’initiative « Publish What you Pay » dont les objectifs sont de contribuer à instaurer plus de transparence dans la gestion des retombées financières du secteur extractif. Bien que nombre des pays producteurs de diamant africains ont adhéré à ces initiatives et que les entreprises exploitantes en activité dans ces pays sont astreintes à la déclaration des revenus reversées aux gouvernements, le secteur extractif demeure opaque et le spectre de la « malédiction des ressources naturelles » dont la richesse potentielle se manifeste malheureusement par la précarité et l’indigence des populations reste d’actualité.

Au niveau africain, quelques initiatives en faveur d’une gouvernance saine du secteur extractif en général et du diamant ont été mises en œuvre. Il s’agit entre autres de :

La Vision Minière Africaine (VMA) développée en 2009 pour promouvoir une exploitation minière transparente, équitable et optimale en Afrique et un développement qui profite à toutes les masses africaines.

Le Centre Africain de Développement Minier (CADM) mis en place conjointement par l’Union Africaine, la Banque Africaine de Développement et la Commission Economique pour l’Afrique afin de soutenir les États africains dans leurs efforts d’amélioration de la gouvernance en matière de ressources naturelles.

– Les instruments de la Conférence Internationale de la Région des Grands Lacs (CIRGL) tels que :  

* Le protocole sur l’Exploitation Illégale des Ressources Naturelles avec son mécanisme régional de certification des ressources naturelles (MRC) adopté en 2012.

* L’Initiative régionale sur la lutte contre l’exploitation illégale des ressources naturelles lancée en 2016

* Le programme régional sur la transparence et la responsabilité dans les industries extractives lancé en 2018.

Les instruments de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC) tels que:

* La Charte sur la gouvernance des ressources naturelles, adoptée en 2012, qui fixe les principes et les objectifs de la CEEAC en matière de gouvernance des ressources naturelles.

* Le Code minier adopté en 2017, qui établit un cadre juridique harmonisé pour l’exploitation minière dans les États membres de la CEEAC.

* Le Protocole sur la lutte contre l’exploitation illégale des ressources naturelles, adopté en 2020, qui vise à lutter contre l’exploitation illégale des ressources naturelles dans la région.

Les instruments de la Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SDAC) tels que:

* La Charte sur la gouvernance des ressources naturelles, adoptée en 2008, qui fixe les principes et les objectifs de la SADC en matière de gouvernance des ressources naturelles.

* Le Code minier adopté en 2012, qui établit un cadre juridique harmonisé pour l’exploitation minière dans les États membres de la SADC.

* Le Protocole sur la lutte contre l’exploitation illégale des ressources naturelles, adopté en 2018, qui vise à lutter contre l’exploitation illégale des ressources naturelles dans la région.

Les instruments de la Communauté Economique et Douanière des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) tels que:

* La Charte sur la gouvernance des ressources naturelles, adoptée en 2014, qui fixe les principes et les objectifs de la CEDEAO en matière de gouvernance des ressources naturelles.

* Le Code minier adopté en 2017, qui établit un cadre juridique harmonisé pour l’exploitation minière dans les États membres de la CEDEAO.

* Le Protocole sur la lutte contre l’exploitation illégale des ressources naturelles, adopté en 2019, qui vise à lutter contre l’exploitation illégale des ressources naturelles dans la région.

Plus d’une décennie après la mise en œuvre de la plupart de ces initiatives, les résultats sont loin d’être satisfaisants et durables. L’opacité, la corruption et les violations des droits humains continuent à être perpétrées au grand dam des citoyen/nes africain/es en général et des communautés riveraines de façon spécifique.

Au gré du renforcement des capacités des défenseurs des intérêts des communautés, le regard est de plus en plus porté sur des aspects de violations des droits humains fondamentaux qui jusqu’ici n’étaient pas pris en compte. C’est le cas des droits environnementaux et sociaux des communautés riveraines. Ceux-ci peinent à être pris en compte.

Et pourtant les tendances économiques et géopolitiques semblent indiquer un appétit croissant pour l’extraction.

Sur le terrain, l’extraction semble s’intensifier avec des acteurs plus nombreux et une exploitation qui n’est pas toujours effectivement contrôlée ; ce qui laisse à penser que la malédiction des ressources naturelles est loin d’être conjurée.

Au moins trois facteurs majeurs sont à prendre en compte pour apprécier la nouvelle vague de conquête des richesses du sous-sol africain qui a cours en ce moment :

– Premièrement, l’offensive russe en Afrique à travers l’organisation militaire WAGNER dont la présence a été signalée de multiples fois autour de sites miniers en République Centrafricaine et au Mali pour ne citer que ceux-là.

– Deuxièmement, le regain d’intérêt des puissances occidentales en l’occurrence des Etats-Unis d’Amérique et de l’Europe pour les minerais critiques afin d’alimenter l’industrie de la haute technologie et la transition vers des économies vertes

– Troisièmement, l’instabilité politique galopante en Afrique de l’Ouest et le recul de la démocratie en général parmi les pays producteurs de diamant tels que la Guinée, la Sierra Leone et le Zimbabwe entre autres.

Les dix prochaines années représentent une fois de plus une opportunité pour l’Afrique. La demande mondiale des minerais, sera forte. La réserve africaine présente une réelle opportunité pour faire croitre les économies africaines et faire bénéficier les communautés des régions productrices. Toutefois, sans changement radical dans la gouvernance, les trois facteurs ci-dessus présagent sans hésitation une pérennisation de l’exploitation opaque, de la corruption, de la contrebande et par-dessus tout une distraction des retombées financières au détriment des populations.

La mise en garde ci-dessus résulte du défaut de proactivité des instances de gouvernance nationales et supranationales sur le continent. Bien que des instruments juridiques et réglementaires existent, leur respect fait défaut. De même, l’intégrité des dirigeants n’est pas une qualité partagée par tous.

L’importance d’une nouvelle définition des « diamants de conflit ».

Depuis plus de cinq ans aujourd’hui, la Coalition de la Société Civile du PK (CSC-PK) plaide pour une modification de la définition des diamants de conflits. La CSC-PK propose une définition plus en phase des réalités d’aujourd’hui. Une définition qui tiendra compte de toutes les formes de violation des droits – humains, économiques, sociaux, et environnementaux, et qui intégrera les gouvernements, les forces de l’ordre, les entreprises privées de sécurité et tous les acteurs susceptibles d’être à l’origine des violences et des violations.

Une telle définition contraindrait tous les acteurs de la chaîne – secteur privé, gouvernement, société civile, artisans miniers et communautés – à entreprendre une exploitation respectueuse des droits, propre et pouvant réellement contribuer au développement des pays producteurs.

Une réforme du système de gouvernance apparait donc nécessaire : L’instauration de l’Etat fonctionnel comme préalable à une gouvernance saine du diamant.

En plus d’une définition améliorée des diamants de conflit au niveau international, il est important qu’une réforme du système de gouvernance dans les pays producteurs soit effectuée si l’on veut éviter de revivre les mêmes effets que ceux vécus depuis le début de l’aventure extractive sur le continent. Cette réforme aura pour objectif de mettre en place un Etat Fonctionnel dans le secteur minier pour ces pays producteurs. Ce concept est proposé par le cabinet STRATEGIES! comme solution au défi de gouvernance qui est transversal à la quasi-totalité des pays en Afrique. Il comprend trois variables interdépendantes qui assurent que l’Etat est au service du bien-être de ses populations : (1) La Présence, (2) La Sureté et la Durabilité et (3) l’Espoir.

La présence est la variable à travers laquelle l’Etat marque son contrôle et sa disponibilité aux citoyen/nes sur toute l’étendue de son territoire. Cette présence se manifeste par la fourniture des services de base tels que l’eau, l’électricité, la santé et l’éducation et les services de sécurité ainsi que l’existence d’équipements socio-collectifs tels que les routes, les édifices abritant les institutions en charge de la régulation de la fourniture de ces services administratifs aux populations.  

La présence peut être assurée à travers l’application de certaines mesures à l’instar de ce qui suit :

– Assurer l’existence, au niveau local et au niveau central, de plateformes inclusives de gestion de l’exploitation du diamant. Les parties prenantes indispensables de ces plateformes sont (1) l’Etat national à travers ses départements ministériels concernés et le gouvernement local ou régional, (2) les représentants des exploitants industriels ou artisanaux, (3) la société civile et (4) les représentants des communautés riveraines. Au sein de ces plateformes, seraient examinés entre autres, les dossiers relatifs au respect des normes et standards de l’activité, à la commercialisation et à la répartition des recettes de l’activité.

– Installer au sein des bassins d’exploitation, des structures publiques de contrôle de l’exploitation tels que des observatoires ou des bureaux de contrôle de l’activité chargées de veiller à l’application des normes techniques et environnementales d’exploitation ainsi qu’au respect des droits humains et pluriels à l’intérieur et autour des sites d’exploitation en plus du service minimum relatif au recensement et à la vérification de la conformité des licences des acteurs de l’exploitation dans les sites miniers.

La sureté et la durabilité constituent le second pilier qui garantit l’intégrité physique et juridique des populations. Elles se manifestent par un Etat de droit dans lequel:

– Les droits fondamentaux humains sont respectés,

– Le système juridique est indépendant et fonctionnel,

– Les organisations des populations ont des plateformes d’interaction et contribuent à la prise de décision,

– Les institutions de contre-pouvoir tels que les médias, les syndicats et la société civile sont libres et indépendants dans leurs actions.

Dans ce cas, l’effectivité de cette variable se manifestera par la participation des différents acteurs au comité de suivi de l’exploitation du diamant présent dans le bassin d’exploitation. Parallèlement à cela, au sein de l’Etat, le système juridique existant doit être non seulement indépendant et fonctionnel mais surtout crédible et fiable pour les populations de façon à favoriser le recours à la justice par les victimes d’abus en tout genre. Le mécanisme de répartition des ressources de l’activité doit être connu, accepté et effectif pour tous les acteurs. Ceci permettra de réduire les nombreuses violations des droits humains enregistrées dans les sites miniers. Cela pourra également favoriser une plus grande transparence sur les activités en cours dans les sites miniers grâce au regard indépendant de la société civile et à une communication plus libre des médias.

L’espoir est la variable à travers laquelle les performances économiques de l’Etat se traduisent par la mise en place d’un environnement des affaires dans le secteur du diamant qui favorise une croissance économique créatrice de richesses et d’emplois décents pour la majorité, un soutien public à l’expression artistique et culturelle florissante, un accompagnement structurel de l’innovation et la créativité dans les milieux dédiés, avec une gestion durable de l’environnement et des ressources qui fait partie intégrale de l’activité minière à tous les niveaux.

La fonctionnalité de l’Etat dans le secteur diamant nécessite un travail ardu pour les pays producteurs, mais c’est le moyen par lequel, les sites miniers peuvent valablement devenir des secteurs d’activités où il règne un climat des affaires favorable à la recherche d’emploi décent et l’entreprenariat. Un investissement de l’Etat en amont dans l’éducation avec la formation aux métiers qui gravitent autour de l’exploitation et en aval à travers l’accompagnement à l’entreprenariat dans le secteur pourrait booster les performances économiques du secteur ainsi que les externalités positives pour les communautés riveraines.

L’instauration de l’Etat fonctionnel apparait donc comme une mesure systémique qui apporte une réponse à l’opacité, la corruption, les violations des droits humains, économiques et environnementaux des communautés, permettant aux pays producteurs de saisir ce moment clé dans l’économie mondiale pour convertir la manne financière issue de l’exploitation du diamant en richesses au bénéfice de leurs populations dans leur globalité.

  1. Les Nations unies, qualifient de diamant de conflit, tout diamant extrait dans une zone contrôlée par des groupes armés et commercialisé pour financer des actions militaires contre des gouvernements légitimes. ↩︎

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