À l’aube de 2023, le plus grand défi de l’Afrique reste encore de répondre aux besoins fondamentaux de ses citoyens. L’eau, l’électricité, l’éducation et les soins de santé demeurent bien rares pour de millions d’Africains. Même s’il vise la croissance technologique, modernise son agriculture et crée des emplois dans le secteur des services, le continent riche en minerais ne peut ignorer son secteur minier.
Les minéraux ont toujours été à la fois une bénédiction et une malédiction pour le continent. Outre les milliers de personnes qui travaillent dans les mines industrielles, on estime à 10 millions le nombre de mineurs artisanaux africains1. Entre 130 et 270 millions d’Africains dépendent de ce secteur pour leur subsistance2. L’exploitation minière représente en moyenne 30 % des exportations pour plus de 60 % des pays africains et plus de 80 % des exportations pour des pays comme le Botswana, la République Démocratique du Congo et l’Afrique du Sud. Des études montrent que l’exploitation minière peut avoir un impact positif sur la richesse des communautés, en fournissant des emplois locaux accessibles aux jeunes et aux femmes.
Malheureusement, l’exploitation minière est aussi l’un des pires secteurs de violation des droits, de dégradation de l’environnement, de corruption et d’exploitation en Afrique.
Avec un tel passif, le secteur minier peut-il réellement contribuer aux besoins pressants de l’Afrique en matière de croissance verte, d’emplois locaux décents et de bien-être des communautés ?
Alors que cette question se pose à l’Afrique, trois facteurs clés ont accru la complexité de la tâche au cours des dernières années.
1. Le changement climatique – Alors que l’Afrique subit de plus en plus les effets du changement climatique, elle ne peut pas se permettre de poursuivre ses activités minières comme si de rien n’était. Les activités minières qui détériorent gravement les terres, les cours d’eau ou l’air contribueront à provoquer des catastrophes environnementales insoutenables en Afrique. Les gouvernements qui luttent déjà pour faire face aux inondations, à la sécheresse et aux parasites ne peuvent pas se permettre les risques environnementaux occasionnés par l’activité minière telle qu’elle est menée aujourd’hui.
2. L’explosion de la jeunesse – avec la plus grande main-d’œuvre du monde, l’Afrique met sur son marché 10 à 11 millions de demandeurs d’emploi par an, alors que le continent ne crée que 3 millions d’emplois décents chaque année. Le secteur informel emploie jusqu’à 80 % de la population dans de nombreux pays africains. Certains des emplois informels les plus précaires et les plus dangereux se trouvent dans le secteur minier. L’Afrique a désespérément besoin de révolutionner son secteur minier afin de créer des emplois décents pour sa population de jeunes en pleine croissance.
3. La Géopolitique – Alors que les États-Unis, la Russie et la Chine s’efforcent de se repositionner dans une nouvelle configuration du pouvoir mondial, les minéraux de l’Afrique sont au centre de l’attention. Pendant des décennies, l’Occident a exploité les minéraux de l’Afrique et le continent n’en a guère profité. Alors que les pays africains changent d’allégeance et se font de nouveaux amis et partenaires dans le contexte géopolitique actuel, ils doivent soigneusement éviter de reproduire les erreurs du passé. Malheureusement, jusqu’à présent, peu de pays semblent tirer les leçons du passé et négocier des partenariats plus équitables dans l’intérêt de leurs citoyens.
Des diamants au platine, du cuivre au cobalt, l’Afrique détient une grande partie des réserves minérales mondiales. Alors qu’elle se reconstruit après de multiples années de crises telles que Covid-19 et l’insécurité alimentaire, il faudra une véritable révolution pour que ses popuplations puissent enfin bénéficier de leurs incommensurables richesses minérales.
Ce qui doit être fait et qui doit le faire !
La Fondation
Personne d’autre qu’eux-mêmes ne peut mener la bataille des Africains. Pour renégocier les avantages que l’Afrique et les Africains reçoivent sur le marché international, les gouvernements africains doivent faire des intérêts de leurs citoyens leur première préoccupation et leur premier objectif. Les gouvernements et les entreprises étrangères opèrent souvent en violation des droits et des avantages des communautés où ils extraient des minerais. Ils ne peuvent toutefois le faire qu’en connivence avec des gouvernements corrompus et négligents. Une gouvernance qui place les droits des communautés où les minéraux sont extraits au premier plan est un élément fondamental pour révolutionner le secteur minier africain de manière durable.
Les citoyens qui connaissent leurs droits et qui sont habilités à agir en fonction de ces droits et à les défendre sont également essentiels pour garantir que les communautés tirent des bénéfices équitables des minéraux présents sur leurs terres. Dans de nombreux pays, des militants et des organisations de la société civile s’efforcent de former et de responsabiliser les communautés. Les dirigeants communautaires prennent souvent des positions courageuses pour défendre les droits collectifs. Cependant, trop souvent, les militants et les dirigeants travaillent avec trop peu de ressources et se retrouvent mal équipés pour affronter certains des gouvernements et des entreprises les plus puissants du monde. Le renforcement de l’action citoyenne devient alors essentiel pour révolutionner définitivement le secteur minier africain.
Le catalyseur.
Les initiatives passées visant à éliminer les minerais de conflit, telles que le Processus de Kimberley, les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises, l’initiative régionale pour les ressources naturelles de la CIRGL3, etc. ont été mises en place en réponse aux protestations des citoyens des pays consommateurs concernant les violations des droits au sein des chaînes d’approvisionnement des minerais qu’ils finissent par acheter. Rien n’incite plus les entreprises à améliorer leur comportement que le pouvoir des acheteurs. La sensibilisation des consommateurs aux graves violations commises dans le secteur minier entraînera des changements dans le cadre réglementaire et dans le comportement des grandes entreprises. Les citoyens des pays consommateurs exerçant leur pouvoir sont un catalyseur majeur pour révolutionner le secteur minier africain de façon durable.
Au niveau international | |
Élaborer et appliquer des cadres réglementaires qui réduisent les violations du commerce à tous les niveaux | Il est nécessaire d’améliorer et d’harmoniser les cadres réglementaires de toute la chaine de valeur, depuis le site minier jusqu’au marché. Ces cadres devraient également être inclus dans les négociations entre les entreprises et les gouvernements afin de garantir l’application de la réglementation à tous les niveaux. Le traçage et l’empreinte digitale des minéraux doivent être développés et améliorés. L’expertise en matière de traçage et d’empreintes digitales doit être considérablement renforcée dans les pays producteurs afin d’en assurer la mise en œuvre sur les sites miniers. |
Intégrer le fait que l’exploitation minière est une activité locale | Les réglementations internationales devraient prévoir que les contrats miniers soient négociés avec toutes les principales parties prenantes. L’inclusion de fonctionnaires locaux et de dirigeants communautaires, avec une représentation équitable des sexes et des groupes d’âge, dans les négociations des contrats miniers améliorera considérablement la protection des droits et les avantages pour les communautés. Toutes les parties prenantes doivent recevoir une formation et des informations adéquates avant les négociations. |
Relier l’exploitation minière à d’autres flux financiers | Les gouvernements qui ont recours à des pratiques de corruption dans le secteur minier et qui violent les droits des communautés, se retournent et obtiennent des prêts et des subventions de la part des institutions financières mondiales. Il est nécessaire d’intégrer la bonne gestion du secteur minier comme facteur déterminant l’accès aux institutions financières mondiales et même aux financements bilatéraux. |
AU NIVEAU CONTINENTAL | |
Élaborer et appliquer des cadres réglementaires qui réduisent les violations du commerce à tous les niveaux | L’initiative de la Vision Minière Africaine a des objectifs louables. Toutefois, les cadres réglementaires sont peu ou pas appliqués au sein des pays africains et entre eux. Les pays africains doivent exercer une bonne gouvernance financière aux niveaux infranational, national et régional, si l’on veut que leurs communautés bénéficient des minéraux du continent. Les rapports sur les progrès réalisés en matière de réduction des violations des droits et d’augmentation des bénéfices pour les communautés devraient faire partie des rapports standards lors des réunions de l’Union Africaine, tant au niveau ministériel qu’au niveau présidentiel. |
Soutenir les pays par une assistance technique et financière | Certains pays africains, comme le Botswana, ont réussi à transformer leur secteur minier. Si chaque pays a ses propres solutions pour relever les défis, l’Union Africaine devrait mettre en place des plateformes permettant aux pays d’échanger leurs expériences et de tirer des enseignements. Les pays en transition qui dépendent fortement de l’exploitation minière et qui vont renégocier leurs partenariats miniers devraient recevoir l’aide de l’Union Africaine dans cette phase de leur développement. |
Renforcer les capacités continentales | Malgré ses réserves minérales, l’Afrique ne dispose que de peu d’écoles pour former des ingénieurs miniers et encore moins pour former des experts possédant les compétences de haut niveau requises pour certaines spécialités telles que la prise d’empreintes digitales et le traçage des minéraux. Compte tenu de l’importance de l’exploitation minière pour le continent, l’Union Africaine devrait contribuer à la coordination d’une stratégie visant à développer des écoles d’ingénierie minière et des centres de spécialisation pouvant être situés dans les régions et partagés entre les pays. |
AU NIVEAU NATIONAL | |
Plateformes tripartites | Les partenariats tripartites entre les gouvernements nationaux, les sociétés minières et la société civile, qui sont déjà expérimentés dans certains pays pour définir la stratégie du secteur minier et responsabiliser les parties prenantes, devraient être renforcés et généralisés. Ces plateformes devraient être élargies pour inclure des représentants des communautés dans lesquelles les minéraux sont exploités. Elles devraient également assurer le renforcement des capacités de toutes les parties prenantes afin qu’elles puissent participer de manière significative. Ces plateformes tripartites doivent peser d’un poids prépondérant sur les décisions relatives à la politique minière nationale et aux cadres réglementaires. |
Il s’agit d’une entreprise locale | Les gouvernements nationaux doivent considérer l’exploitation minière comme une partie intégrante du développement économique local. Il est essentiel d’inclure les gouvernements locaux dans les négociations contractuelles et de leur donner les moyens de veiller à l’application des cadres réglementaires, à la création d’emplois décents et à l’obtention de bénéfices par les communautés. Pour réussir à révolutionner l’exploitation minière en Afrique, il est essentiel que les autorités locales soient fortes et puissent être de véritables partenaires dans les projets miniers. |
au niveau infranational | |
renforcer les capacités d’action | Tous les acteurs au niveau local : les municipalités, les associations communautaires, les femmes mineurs, les activités minières adjacentes et les sociétés minières doivent renforcer leur capacité à mener des activités minières dans le respect des droits fondamentaux et en partageant les bénéfices avec les communautés. Les acteurs locaux doivent prendre des initiatives et défendre leurs propres droits. Le changement vient souvent de la base. |
[1] Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs.
- https://www.reuters.com/article/us-mining-asm-idUSKCN1S025C ↩︎
- https://novafrica.org/wp-content/uploads/2022/03/2201.pdf ↩︎
- Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs. ↩︎